Risques industriels et territoire

Zoom sur quatre territoires en France et à l’étranger concernés par les risques industriels

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Zoom sur quatre territoires en France et à l’étranger concernés par les risques industriels Zoom sur quatre territoires en France et à l’étranger concernés par les risques industriels

#5 Dossier - Risques industriels et territoires : quelle(s) instance(s) de participation citoyenne ?

Comment l’Italie, la France, la Belgique et le Québec font-ils de la prévention des risques industriels, gèrent-ils un accident et deviennent-ils résilients ? Les citoyens sont-ils impliqués à chaque étape ? Réponse avec quatre experts.

 

En Italie

Paolo Crivellari, sociologue de l’Université de Toulouse

 

PRÉVENTION

En Italie, on observe deux paradoxes :

  • Tout d’abord, alors que l’Italie a vécu l’accident de Seveso en 1976, aucun dispositif de cadrage au niveau national n’a été créé concernant l’information et la communication aux citoyens, contrairement à ce que l’on a observé en France avec les CLIC (comités locaux d’information et de concertation) institués après la  catastrophe d’AZF et devenus depuis les CSS (commissions de suivi de site).
  • Deuxième paradoxe, il existe des initiatives locales innovantes qui, cependant, n’ont pas d’équivalent en Europe et sont méconnues. Par exemple le SIMAGE (système intégré pour le monitoring environnemental et la gestion de l’urgence) a été mis en place sur le site pétrochimique de Porto Marghera, situé dans la commune de Venise. Le SIMAGE est un dispositif innovant d’un point de vue technologique aussi bien qu’organisationnel, puisqu’il est le fruit d’une collaboration entre le secteur public (l’agence pour l’environnement) et le privé (les usines du site). Il propose un monitoring environnemental des substances polluantes dans l’air et mesure en temps réel, 24 heures sur 24, l’émission de substances toxiques. Sur place, dans une salle dédiée, un personnel spécialisé analyse les données collectées. En cas de dépassement des seuils, l’alerte est donnée. Cependant, même s’il fonctionne bien d’un point de vue institutionnel, le SIMAGE provoque une certaine méfiance des citoyens qui n’y sont que très peu associés et qui y voient une certaine collusion entre la Région et les instances de la décentralisation (les pouvoirs publics qui ont une mission de contrôle) et les industriels (les « contrôlés »).

Plus généralement, le modèle de gouvernance des risques industriels en Italie est très technocratique, ce qui a des vertus d’efficacité, mais le citoyen est peu convoqué, ce qui pose des problèmes de légitimité.

 

GESTION DE CRISE

En Italie, la communication entre les acteurs institutionnels concernés par la gestion de crise est compliquée car ils sont très nombreux et, même s’ils sont très compétents, ils ont parfois du mal à se coordonner. D’autre part, cette complexité institutionnelle a des répercussions sur la communication entre les acteurs institutionnels et le grand public qui manque de visibilité
sur la gestion de crise. On peut néanmoins souligner des initiatives locales vertueuses d’implication citoyenne, comme par exemple, toujours dans le cadre du SIMAGE de Porto-Marghera, les citoyens volontaires du Groupe information protection sécurité (GIPS) qui, en cas d’urgence, peuvent être des relais d’information auprès de la population.

 

POST-CRISE

Du côté des citoyens, suite à un événement catastrophique, on ne veut surtout pas revenir à la situation d’avant. Le message de résilience porté par les pouvoirs publics n’est pas « absorbé » de la même manière par les citoyens. La résilience n’est pas forcément un sujet qui les intéresse. Revenir à la situation précédente peut sous-entendre qu’on rencontrera les mêmes problèmes qui ont  conduit à la catastrophe. Il faut plutôt travailler à éviter la crise.

 

En Belgique

Christian Delvosalle, professeur de génie des procédés chimiques et biochimiques à l’Université de Mons

 

PRÉVENTION

Les directives européennes sur les risques majeurs sont relativement contraignantes et rendent obligatoire la participation du public. Pourtant, dans la plupart des pays leur application n’est pas évidente. En Belgique, la participation du public se fait à plusieurs niveaux :

  • Tout d’abord, celui de l’aménagement du territoire en cas d’implantation ou de modification de site avec le « permis d’environnement » ;
  • Ensuite, celui de la « vie quotidienne » d’un site, avec les comités d’accompagnement du « permis d’environnement » qui sont moins formalisés que les CSS françaises et ne sont pas systématiquement mis en place. En région wallonne, les comités d’accompagnement sont aussi des lieux d’échanges sur les problématiques des risques avec les industriels, le pouvoir politique et les riverains. Certains fonctionnent bien, d’autres sont un échec en raison de conflits entre les parties prenantes. La mobilisation citoyenne varie en fonction du contexte et de l’histoire du territoire.

GESTION DE CRISE

En Belgique aussi, la gestion de crise est complexe en raison des nombreux intervenants, du ministère de l’Intérieur jusqu’au bourgmestre en passant par les gouverneurs de province. Pour impliquer les citoyens, il faudrait faire des exercices grandeur nature avec le public, mais c’est difficile. Une possibilité pourrait être d’utiliser la réalité virtuelle, les jumeaux numériques ou la modélisation en 3D. Le système BE-Alert permet d’être alerté en cas d’accident industriel ou naturel, encore faut-il que l’information soit reçue et comprise.

 

POST-CRISE

Il faut distinguer les crises ayant un impact de courte durée et les crises qui vont avoir des impacts à long terme, comme les pollutions des nappes phréatiques. Nous n’avons actuellement aucun modèle correct permettant de gérer ce dernier genre de situation. Il y a un vrai travail à faire.

En France

Yves Blein, ancien député du Rhône, ancien maire de Feyzin et ancien président de l’association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris)

 

PRÉVENTION

Les dispositifs réglementaires ne répondent pas en général aux problèmes d’animation de la discussion sur les questions de risques avec le public. À Feyzin, le sujet de la raffinerie étant au coeur des préoccupations des habitants, une expérience participative alternative est en place depuis 2007, la conférence riveraine. Une cinquantaine d’habitants volontaires se sont engagés à y participer. De même pour le directeur du site et le maire. L’objectif de ce dispositif est de « lever les mystères » sur ce qui se passe dans l’industrie, de déconstruire les idées reçues et de résoudre des problèmes en lien avec la cohabitation industrie-riverains. Elle se réunit 4 fois par an. Son budget est financé à 50 % par l’industriel et à 50 % par la mairie. Il permet que les débats soient animés par un tiers extérieur, de financer une contre-expertise ou une newsletter, etc. Quinze ans après sa création, son taux de participation est encore de 80 %. C’est vraiment un outil d’animation, de vulgarisation, de connaissance réciproque et de construction de confiance.

 

GESTION DE CRISE

La multiplicité des émetteurs d’information, notamment les médias et les réseaux sociaux, rend difficile la maîtrise de la communication en cas de crise. En tant que maire, Yves Blein a déclenché à plusieurs reprises le plan communal de secours pour vérifier la bonne coordination entre tous les intervenants. À Feyzin, on fait en sorte de sensibiliser régulièrement la population à la gestion de crise.

 

POST-CRISE

À la suite de la loi Bachelot, une convention a permis la prise en charge des coûts des travaux chez les riverains en prévention des risques industriels. Aujourd’hui, moins de 30 % ont réalisé ces travaux alors que cela ne leur coûte rien…

 

Au Québec

Corinne Gendron, sociologue à l’Université du Québec à Montréal (Canada)

PRÉVENTION

Au Québec, l’aménagement du territoire et l’évaluation d’impact environnemental et social sont deux vecteurs à travers lesquels on va anticiper le risque et où les citoyens vont être amenés à participer. L’aménagement du territoire est de compétence provinciale, il relève des municipalités qui déposent des projets de plans systématiquement soumis à consultation publique. Dans le cas d’une implantation d’activités industrielles à risque, une norme fédérale définit des périmètres de protection. Cependant, le respect de ces zones n’est pas obligatoire puisque l’aménagement du territoire est de juridiction provinciale et non fédérale, et n’a pas intégré cette norme à sa réglementation. Une fois le projet défini, l’évaluation d’impact environnemental et social est enclenchée. Dans ce cadre, les citoyens participent notamment à la définition des termes de référence de l’évaluation d’impact. Ensuite, une fois l’évaluation d’impact complétée, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), tout comme la CNDP en France (Commission nationale du débat public), organise la concertation citoyenne autour du projet. Cependant, outre sa fonction de garant de la concertation, le BAPE a aussi une fonction de commissaire enquêteur, contrairement à la CNDP, et peut diligenter des expertises. Il fournit donc un rapport comprenant non seulement les avis des citoyens, mais aussi ses propres analyses. Sur la base de ce rapport ainsi que de l’analyse environnementale réalisée par le ministère de l’Environnement, le projet est autorisé ou retoqué. Enfin, très souvent, les décrets d’autorisations comprennent des recommandations sur la composition et le fonctionnement de Comités de suivi dont la mise en place n’est pas obligatoire (contrairement aux CSS françaises), mais de plus en plus fréquente.

 

GESTION DE CRISE

Le Québec a fait face à relativement peu de désastres industriels jusqu’à présent. Lors de la catastrophe de Lac-Mégantic en 2013 où un train chargé d’hydrocarbures a causé un gigantesque incendie, la moitié du centre-ville a disparu. La mairesse est devenue une héroïne parce qu’elle a géré la situation de façon extraordinaire, avec bon sens. La communication de l’entreprise envers la population, la participation des citoyens ne peut se limiter au temps de la crise. Une des clés réside dans l’implication en amont. On devrait développer une culture de la communication citoyenne et de la participation publique chez les industriels. Plutôt que de considérer leurs riverains comme des gens à qui il faut inculquer une « culture du risque », en instaurant un dialogue, une relation avec eux, les industriels pourraient bénéficier du savoir pratique des citoyens qui connaissent et « vivent » leur territoire au quotidien. Cela permettrait de compléter les modélisations abstraites, de les incarner et de les bonifier.

 

POST-CRISE

La résilience n’est pas toujours possible. Au Québec, par exemple, un lien entre le taux de cancer des enfants et les émanations d’arsenic émises depuis des années par une fonderie commence seulement à être reconnu comme possible après de nombreuses alertes de médecins et un récent rapport scientifique. Dans ce cas, loin d’être dans la résilience, on est dans l’entretien d’une fracture entre travailleurs de l’usine qui pourraient perdre leur travail si on fermait cette usine incapable de se moderniser pour réduire ses émissions, et les citoyens qui craignent pour la santé de leurs enfants. Plutôt que de rester dans une posture d’opposition entre citoyens et travailleurs, les choses pourraient être présentées de manière plus constructive. On devrait mieux documenter les situations où les sociétés ne se relèvent pas d’une crise.

DOSSIER - Risques industriels et territoires : quelle(s) instance(s) de participation citoyenne ?

PARTIE 1 : Une nouvelle instance citoyenne pour la Métropole Rouen Normandie

PARTIE 2 : Regard international sur la participation citoyenne

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