Risques industriels et territoire

Participation citoyenne : une étude sociologique pour comprendre les besoins des populations

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Participation citoyenne : un étude sociologique sur la Métropole de Rouen pour comprendre les besoins des populations Participation citoyenne : un étude sociologique sur la Métropole de Rouen pour comprendre les besoins des populations

 

Marqué par une histoire et une présence industrielles fortes, le territoire rouennais doit encore assimiler la culture de la sécurité industrielle. Afin de retrouver un dialogue apaisé après l’accident de Lubrizol et de Normandie Logistique, la Métropole Rouen Normandie a décidé de lancer une étude sociologique préalable à la création d’une instance de participation citoyenne. Explications.

 

La Métropole Rouen Normandie est partie d’un premier constat : le défaut de préparation des populations à l’accident, sachant que le risque zéro n’existe pas. La consigne en cas de nuage toxique est de rester à l’abri dans un bâtiment confiné. Lors des incendies de Lubrizol et de Normandie Logistique, survenus en pleine nuit, « les gens, réveillés par les explosions, n’ont pas compris ce qu’il se passait faute de consignes et d’informations, ils se sont retrouvés dans un état de sidération. Certains se sont rapprochés à pied du nuage, d’autres ont fui la métropole en voiture. Ces comportements inadaptés, qui surexposent au risque toxique et auraient pu rendre plus difficiles les opérations de secours, sont dus à une méconnaissance, à une impréparation à gérer psychologiquement un accident industriel pour avoir les bons réflexes », souligne Marc Sénant, responsable savoir-faire & méthodes à l’Icsi. Le deuxième constat de la Métropole Rouen Normandie porte sur une certaine méfiance, voire défiance des citoyens envers les industriels et les pouvoirs publics.

Un long travail préparatoire

Face à ces constats, la Métropole Rouen Normandie a décidé de travailler, en partenariat avec l’Icsi, à la constitution d’une nouvelle instance de participation afin d’associer concrètement les citoyens aux enjeux de la sécurité industrielle. Pour comprendre les attentes spécifiques de la population et les perceptions locales des risques industriels, le lancement d’une étude sociologique a été jugé comme un prérequis indispensable.

La première étape a consisté à réaliser une synthèse des études portant sur la culture de sécurité dans la métropole menées un an avant et peu de temps après l’incendie de Lubrizol par Éric Daudé, enseignant-chercheur de l’Université de Rouen Normandie, laboratoire IDEES, et Delphine Grancher, ingénieure de recherche au CNRS, avec l’aide de la métropole.
« Cela nous a permis de gagner du temps et d’identifier des questions prioritaires pour le questionnaire de l’étude qualitative. Avec le sociologue Pierre Lénel, qui pilotait cette partie de l’étude, nous avons ensuite enrichi le questionnaire. En parallèle, nous avons sélectionné quatre communes, à savoir : Bois‑Guillaume, Grand Quevilly, Elbeuf et Duclair. Cette sélection a été réalisée notamment en fonction de leur éloignement par rapport aux sites et de la diversité sociologique des répondants potentiels », détaille Marc Sénant.

Des entretiens qualitatifs complétés par une enquête quantitative

Le sociologue Pierre Lénel est ensuite allé à la rencontre des habitants de ces quatre communes sur plusieurs jours durant les mois d’avril, mai et juin 2022. Marc Sénant l’a aidé pour les entretiens réalisés sur Bois-Guillaume et Grand Quevilly. « Nous avons reçu un accueil très chaleureux des populations. La durée moyenne des entretiens était supérieure à 25 minutes, certains ont duré une heure, voire davantage », indique Marc Sénant. Plus de 90 entretiens ont ainsi été réalisés.
Ces échanges ont été très riches en enseignements, et parfois en révélations surprenantes.

Un riverain qui habite à 80 mètres de Lubrizol m’a par exemple précisé qu’il avait été réveillé à 5 heures du matin par sa femme. Elle venait de recevoir un SMS d’une amie vivant au Japon qui avait appris avant eux qu’il se passait quelque chose.

Marc Sénant, Icsi

Des entretiens ont également été menés auprès d'association, d'élus et d'industriels

« L’objectif de cette étude qualitative était d’identifier des tendances afin d’élaborer l’enquête quantitative. Avec Pierre Lénel, nous avons organisé plusieurs réunions de travail avec Éric Daudé et Delphine Grancher, qui étaient chargés de cette troisième phase de l’enquête », précise Marc Sénant.

Le questionnaire de l’enquête quantitative, comprenant 25 questions, a ensuite été mis en ligne, du 16 juin au 17 juillet 2022, par la Métropole Rouen Normandie sur la plateforme de démocratie participative locale « Je participe ! », destinée aux habitants des 71 communes du territoire. Ces questions ont porté sur les perceptions des risques et des nuisances, les attentes en matière d’information, les propositions d’activités autour de la thématique, les modalités et contenu d’une instance de dialogue, l’intérêt personnel et les informations personnelles.

« Pas moins de 440 personnes se sont connectées à la plateforme pour répondre au questionnaire », souligne Marc Sénant. Les rapports de l’étude qualitative et de l’enquête quantitative ont ensuite été transmis à la Métropole Rouen Normandie.
Enfin, un comité de pilotage de restitution finale s’est tenu le 30 septembre 2022, qui a donné lieu à deux heuresd’échange avec les acteurs du projet.

« Un point encourageant qui mérite d’être relevé, c’est le taux de complétion du questionnaire de l’enquête sociologique quantitative. Il est de 100 % ! Cela signifie que l’ensemble des répondants ont répondu aux vingt-cinq questions, certains ont même ajouté des commentaires. Cela montre une forte implication », souligne Marc Sénant, responsable savoir-faire & méthodes à l’Icsi.

Une demande de connaissances pratique

Un des points révélateurs de l’étude sociologique est la demande de formation sur les consignes de sécurité. Une étude datant de 2018 indiquait déjà que 60 % des personnes ne connaissaient pas ces consignes. Ils étaient 57 % selon une autre étude menée juste après Lubrizol.

Aujourd’hui, un tiers des riverains demande une connaissance pratique sur les comportements à adopter en cas d’accident. « Les outils d’information, comme les plaquettes ou le document d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim), ne touchent pas leur cible. Il faut repenser la communication sur les consignes de sécurité. Il y a un réel besoin de montée en compétences. Les gens se posent des questions très concrètes et ils n’ont pas les réponses. Peu d’entre eux savent par exemple qu’un confinement en cas de nuage toxique implique de scotcher portes et fenêtres », observe Marc Sénant.

Il s’agit de sujets complexes et anxiogènes, les actions avec une dimension psychologique ou cognitive ont plus d’impact. « Si l’on demande à un riverain de placer une petite maison rouge, comme celles du  Monopoly, symbolisant sa propre maison, sur une cartographie des zones d’accidents industriels, il aura une meilleure perception du risque, qui est le préalable à toute mobilisation du comportement », poursuit Marc Sénant.

Un des points révélateurs de l’étude sociologique est la demande de formation sur les consignes de sécurité.

Marc Senant, Icsi

 

Une demande d'information régulière et systématique

Pour entretenir la culture de la sécurité industrielle, les répondants souhaiteraient davantage d’information, plus régulièrement et tout au long de l’année. « 50 % des répondants estiment ne pas être suffisamment informés, ce qui se traduit par une demande accrue d’information pour 98 % des participants ! Les riverains veulent bien sûr être informés en cas d’accident mais aussi en cas de nuisances, telles que des odeurs ou des bruits. Ils nous ont beaucoup parlé des nuisances parce que cela fait partie de leur quotidien. Ils souhaitent de la transparence », souligne Marc Sénant.

Un accueil favorable a un dispositif de participation citoyenne

L’étude sociologique a confirmé que la population accueillerait favorablement une instance d’échange et de dialogue entre toutes les parties prenantes. Cela permet de dépasser les idées reçues, les tensions éventuelles et de s’inscrire dans une logique d’échanges apaisés et constructifs. Les riverains souhaitent des réunions trimestrielles sous format hybride, à la fois en présentiel et en visioconférence.

Certains seraient prêts à s’engager pour un an (40 %) ou deux (20 %), voire cinq ans (20 %). « Nous préconisons que cette instance comprenne une trentaine de personnes, dont 50 % de citoyens », indique Marc Sénant. Il faut que les parties prenantes réapprennent à se connaître, à dialoguer. Pour apporter un gage de confiance, l’animation devrait être confiée à un tiers médiateur qui ne soit pas issu du territoire et qui serait le garant de la répartition du temps de parole, etc.

Adapter les actions au public cible

L’étude a permis de cartographier des attentes qui varient selon les zones géographiques. « C’est une véritable boussole qui va permettre de personnaliser les actions en fonction des publics-cibles, d’informer les populations sur ce qui les intéresse et les implique vraiment », souligne Marc Sénant. Par exemple, les habitants de Rouen, de Bois-Guillaume et de Mont Saint-Aignan, qui ont été impactés par le nuage de fumée, sont prioritairement intéressés par les effets sanitaires, la préparation à l’accident et les enjeux environnementaux.

Mobiliser sur la durée

Un des principaux défis va consister à mobiliser la population dans la durée. « Pour cela, il faut que tous les acteurs jouent le jeu, éviter les informations descendantes et trop techniques, créer des moments conviviaux, réussir à toucher les gens, réaliser des analyses sanitaires et anticiper le renouvellement des participants », conclut Marc Sénant.

En bref : 

Chiffres clés

  • 90 entretiens réalisés pour l’étude sociologique qualitative
  • 440 réponses au questionnaire en ligne de l’enquête quantitative sur la plateforme « Je participe ! »
  • 98 % des répondants demandent plus d’information préventive
  • 50 % des répondants souhaitent une information plus régulière
  • 60 % des répondants souhaiteraient une instance citoyenne qui se réunisse à un rythme trimestriel
  • 70 % des répondants souhaitent que les industriels y participent

Quelques repères dans le temps

  • Printemps 2022 : Lancement de l’étude sociologique, synthèse des études pré-existantes
  • Avril-juin 2022 : Étude qualitative, entretiens individuels à Bois-Guillaume, Grand Quevilly, Elbeuf et Duclair
  • Juin-juillet 2022 : Étude quantitative, mise en ligne du questionnaire sur la plateforme « Je participe ! »
  • 30 septembre 2022 : Restitution finale

Les sujets abordés

  • Les perceptions des risques et des nuisances
  • Les attentes en matière d’information
  • Les propositions d’activités autour de la thématique
  • Les modalités et contenu d’une instance de dialogue
  • L’intérêt personnel et les informations personnelles

 

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