Dessiner les contours d'une instance de dialogue efficace et pérenne à Rouen

#4 Dossier - Risques industriels et territoires : quelle(s) instance(s) de participation citoyenne ?
Charlotte Goujon, vice-présidente de la Métropole Rouen Normandie, a souhaité s’appuyer sur l’expertise de l’Icsi, pour accompagner la Métropole dans la mise en place d’une instance citoyenne afin d’associer les citoyens aux enjeux de sécurité industrielle. Charlotte Goujon revient, notamment, sur l’étude sociologique préalable à la création de cette instance.

Un partenariat Icsi-Métropole de Rouen
Le territoire rouennais a été durablement marqué par l’incendie de Lubrizol et de Normandie Logistique en 2019. La Métropole de Rouen a ainsi un vaste projet autour de la culture du risque pour mieux informer la population, l’associer à la réflexion et travailler à la sensibilisation du grand public. Pour mener ce projet global, l'Icsi et la Métropole de Rouen on mis en place un partenariat pour :
- la mise en place d’une conférence riveraine pour associer les citoyens aux enjeux de sécurité industrielle, qui a débuté par une étude sociologique pour comprendre les attentes et les perceptions des citoyens ;
- l’amélioration des dispositifs d’alerte et d’information de la population et l’amélioration de la gestion de crise. Le Métropole de Rouen fait partie des territoires tests pour la mise en place de dispositifs de « cell broadcast » ;
- la formation des élus et la sensibilisation du grand public au risque industriel et à la gestion de crise ;
- des travaux de recherche sur la thématique « risque et territoire ».
Pourquoi la Métropole Rouen Normandie a-t-elle décidé de lancer une étude sociologique sur les attentes citoyennes et la perception locale des risques industriels ?
Charlotte Goujon : Au lendemain des incendies de Lubrizol et Normandie Logistique du 26 septembre 2019, on a bien senti qu’il y avait un réel besoin de retisser le dialogue entre les différents acteurs : industriels, collectivités et habitants. Pour réussir à mettre en oeuvre une instance citoyenne efficace qui réponde vraiment aux attentes des riverains, il nous est apparu indispensable de lancer cette étude sociologique préalable en partenariat avec des acteurs indépendants, comme l’Université de Rouen, le sociologue Pierre Lénel et l’Icsi.
Nous sommes convaincus que, pour réussir ce type d’initiative, il faut prendre le temps, et s’appuyer sur des experts qui ne font pas débat sur leur capacité à mener un tel projet. C’est le cas de Pierre Lénel. Le sociologue a déjà piloté l’étude préalable à la conférence riveraine de Feyzin, qui fonctionne toujours aujourd’hui quinze ans après son lancement. Dessiner les contours d’un espace efficace qui dure dans le temps était pour nous essentiel. Il n’y a rien de pire que de créer une instance de dialogue après un événement pour qu’au final elle ne réponde pas aux attentes des habitants. Dans ce cas, elle va très vite s’essouffler et faire naître une forme d’insatisfaction collective, avec un sentiment partagé de manque d’écoute de la part des citoyens comme des industriels.
Vous avez évoqué l'expérience de Feyzin, vous a-t-elle inspirée ?
Charlotte Goujon : Effectivement, nous avons eu des échanges réguliers avec Murielle Laurent, l’actuelle maire de Feyzin, mais aussi avec son ancien maire, Yves Blein, qui a été à l’origine de la conférence riveraine. Comme l’a montré l’étude menée sur Rouen, il y a bien sûr les enjeux de communication et d’information au moment d’un accident, mais il ne faut pas oublier les enjeux de dialogue quasi quotidiens, notamment liés aux nuisances : bruits, fumées, odeurs… La conférence riveraine de Feyzin est en cela exemplaire. Elle fonctionne dans tous les cas de figure, notamment pour les nuisances du quotidien.
Justement, s'intéresser à ces nuisances du quotidien peut-il, selon vous, favoriser l'ancrage de la culture de sécurité ?
Charlotte Goujon : Pour favoriser la culture de sécurité industrielle, il est essentiel que les citoyens aient une bonne connaissance du territoire, de ce que font les industriels, et donc des risques inhérents à leurs activités, en l’occurrence également les nuisances au quotidien. Les industriels peuvent apporter deux types de réponse, parfois sous forme d’explication, mais aussi, pour certaines nuisances, en prenant des mesures pour les faire diminuer. C’est comme cela que nous allons réussir à créer de la confiance et de la cohabitation.
En quoi, selon vous, la co-construction d'une instance de dialogue est-elle indispensable ?
Charlotte Goujon : La co-construction permet à toutes les parties prenantes d’être à l’écoute et d’avoir davantage confiance dans la création de cette instance. Il ne s’agit pas de calquer ce qui sefait ailleurs car cela pourrait ne pas être forcément en adéquation avec notre territoire compte tenu de ses spécificités, de son tissu industriel complexe avec des activités et des risques différents, etc.
Dans un contexte de co-construction, les riverains se sentent acteurs, libres de prendre la parole au sein de l’instance qu’ils ont contribué à créer. A contrario, de par leur nature même, les commissions de suivi de site (CSS) donnent l’impression d’une communication descendante de la préfecture et des industriels vers les habitants et les collectivités. Avec cette initiative, nous cherchons plutôt à créer un espace de dialogue libre.
Pour vous, quels sont les points forts des résultats de cette étude ? Ceux qui vous ont peut-être le plus étonnée ?
Charlotte Goujon : Près de 500 personnes ont répondu à l’étude. La répartition géographique des répondants est assez équilibrée. L’étude donne ainsi un éclairage représentatif des attentes du territoire. Autre point fort, l’animation ou la création de cette instance par la Métropole est jugée tout à fait pertinente, cela ne fait même pas débat parmi les répondants. Cela signifie que la Métropole est un acteur connu et reconnu sur ces sujets de culture de sécurité industrielle.
Ce qui surprend assez peu finalement, c’est que les attentes et les enjeux ne sont pas les mêmes pour les habitants qui vivent à proximité des usines et ceux qui sont plus éloignés mais qui ont été concernés par le nuage de l’incendie de Lubrizol. Les uns vont être plus enclins à discuter des enjeux du quotidien et les autres seront plus intéressés par les événements majeurs. Les nuisances quotidiennes sont ainsi beaucoup plus prégnantes chez les riverains directs. Dans la bouche de nombreux répondants qui habitent à proximité des sites, une phrase revient souvent : « on évite d’y penser, sinon… ». Cela signifie pour nous que nous devons bien sûr travailler à une meilleure prise de conscience et à améliorer la connaissance du risque industriel, mais nous ne devons pas en faire un sujet anxiogène afin d’éviter une angoisse permanente des citoyens. Il faut trouver le juste milieu.
L'instance de participation a-t-elle déjà été choisie ?
Charlotte Goujon: Nous nous donnons encore une année sous la forme d’une convention citoyenne pour continuer à travailler sur la création de cette instance. On propose aux citoyens de travailler sur l’idée d’une instance d’une trentaine de personnes, et nous verrons ce qui ressort des échanges. Il y a encore des choses qui restent à préciser, comme la répartition entre citoyens, industriels, collectivités et autres acteurs, les sujets qui seraient évoqués, etc. Les citoyens qui ont répondu à l’étude ont aussi demandé à être formés sur un certain nombre de sujets.
Quelle forme prendra concrètement la convention citoyenne ?
Charlotte Goujon : D’après l’étude, les riverains veulent des réunions en présentiel mais aussi en visioconférence, parce que cela permet, notamment aux femmes actives qui ont des enfants, de pouvoir plus facilement s’investir. La convention citoyenne sera au format hybride pour tenir compte de cette contrainte. Parmi les personnes interrogées, 80 d’entre elles se sont déclarées intéressées pour participer à cette convention. Nous avons également sollicité les conseils de quartier dans les communes où ils existent, les membres des réserves communales de la sécurité civile, etc. Nous allons mettre tout en oeuvre afin que la convention citoyenne puisse tenir sa première réunion rapidement.
La concertation est-elle selon vous une force de progrès ? Au-delà des risques industriels, pensez-vous qu'elle infuse globalement sur la qualité du dialogue entre les citoyens, le tissu socioéconomique et la Métropole ?
Charlotte Goujon : Oui, nous le constatons sur tous les sujets. Aujourd’hui, en France, il y a une forte demande de nouvelles formes de démocratie, des nouvelles formes de participation. De plus en plus d’habitants gagnent en expertise sur certains sujets. Un échange et une participation citoyenne préalables favorisent une meilleure compréhension de la décision publique. Face à l’augmentation des problématiques liées à l’environnement, à la qualité de l’air, avec des acteurs qui s’opposent parfois, il faut réussir à travailler collectivement pour avancer sur ces sujets de transition écologique, cela passe aussi par de nouvelles formes de démocratie. Notre conviction profonde est que, pour faire face aux risques majeurs du territoire qu’ils soient industriels ou naturels, la concertation doit s’appuyer sur une vraie posture de dialogue et de transparence des parties prenantes.
UN NOUVEAU PROJET : Gestion des risques industriels, travaillons ensemble !
Les grandes lignes des attentes des citoyens rouennais sont désormais connues, mais il reste de nombreux points à affiner pour aboutir à la création d’une instance de dialogue pérenne. En effet, les outils, les méthodes, les moyens, l’organisation, la composition, le pilotage de l’instance… sont autant de sujets à étudier pour aboutir à une proposition d’organisation qui puisse répondre aux attentes exprimées. Pour la Métropole Rouen Normandie, ces sujets doivent être travaillés avec les citoyens. Une phase de co-construction de l’instance s’ouvre en 2023 et la population est invitée à y participer. Pour travailler sur la création d’une instance définitive, la Métropole Rouen Normandie souhaite organiser une phase de préfiguration participative avec un groupe citoyen dont les travaux auront vocation à initier un travail de fond sur les outils et méthodes à mettre en oeuvre sur le territoire pour répondre aux attentes exprimées sur la prévention et la gestion des risques industriels. Il est proposé d’organiser au minimum 5 réunions de travail sur toute l’année 2023. À l’issue de ces 5 réunions, il est visé l’édition d’une feuille de route pluriannuelle d’une instance de dialogue dont l’installation est prévue en janvier 2024.
DOSSIER - Risques industriels et territoires : quelle(s) instance(s) de participation citoyenne ?
PARTIE 1 : Une nouvelle instance citoyenne pour la Métropole Rouen Normandie
- #1. Une étude sociologique pour comprendre les besoins des populations
- #2. Résultats de l’étude : les grandes tendances
- #3. Il faut que toutes les parties prenantes apprennent à “parler vrai” », interview du sociologue Pierre Lénel
- #4. « Dessiner les contours d’une instance de dialogue efficace et pérenne à Rouen », interview de Charlotte Goujon, vice-présidente de la Métropole Rouen Normandie
PARTIE 2 : Regard international sur la participation citoyenne