Décryptage des difficultés et réussites d'instances citoyennes

#6 Dossier - Risques industriels et territoires : quelle(s) instance(s) de participation citoyenne ?
Quels sont les freins et les leviers de réussite des instances de participation citoyenne ? Caroline Kamaté, responsable de programmes à la Foncsi, revient sur quelques dispositifs réglementaires, certains moins formalisés et d’autres volontaires, qui tentent tant bien que mal de retrouver un espace de dialogue apaisé.
En France, il existe une variété d’instances visant à favoriser la participation citoyenne dans le cadre des risques industriels. Certaines cependant peinent à ancrer un dialogue transparent pour une culture de la sécurité partagée dans la durée.
DES CLIC AUX CSS, DES DISPOSITIFS DE CONCERTATION RÉGLEMENTAIRES À L’INFORMATION DESCENDANTE
À la suite de l’accident d’AZF, survenu en 2001, les comités locaux d’information et de concertation (CLIC) avaient été mis en place en 2003 dans le cadre de la loi Bachelot sur la prévention des risques technologiques. Il s’agissait de dispositifs obligatoires dont la mission était notamment d’assurer la concertation liée à l’élaboration des plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Avec la loi Grenelle 2, ils ont évolué vers les commissions de suivi de site (CSS), qui ont également remplacé les commissions locales d’information et de surveillance (CLIS) relatives aux installations de traitement des déchets.
« Comme les CLIC, les CSS se composent de cinq collèges : les industriels, les collectivités, l’État, les salariés des sites concernés et les riverains ou les associations de protection de l’environnement. Outre les risques d’accident majeur, leurs missions sont élargies aux questions environnementales, notamment les nuisances. Entre l’acronyme du CLIC et celui de la CSS, le terme de concertation a disparu… », souligne Caroline Kamaté, responsable de programmes à la Foncsi.
Dans la pratique, les CSS, qui sont généralement coordonnées par le préfet ou son représentant, sont perçues par les riverains comme des organes d’information descendante, technocratiques et souvent trop techniques. « Ce sont des sachants qui parlent aux sachants. Ce n’est pas adapté aux attentes des citoyens. Les agents de l’État ne se posent sans doute pas assez la question de comment le citoyen reçoit ces informations. Si les riverains ne disposent pas du bagage technique des acteurs institutionnels, ils connaissent leur territoire, ils ont des savoirs d’usage. Savoir discuter, instaurer le dialogue, ce n’est pas forcément inné. Un axe de progrès serait d’instaurer une culture de la participation chez tous les acteurs. Malgré ces quelques critiques, en tant que structure réglementaire, la CSS reste l’organe le plus décisionnaire », nuance Caroline Kamaté.
LES SPPPI, DES STRUCTURES MOINS FORMALISÉES
Les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions industrielles (SPPPI), moins formalisés que les CSS, sont nés dans les années 1970 autour de l’étang de Berre. Ils ont ensuite
fleuri ailleurs en France. « Petit à petit, ces structures sont devenues plus institutionnalisées. Elles font désormais partie du paysage participatif connu et établi sur les territoires, en lien avec les risques et les pollutions », précise Caroline Kamaté.
Souvent, les instances de participation finissent avec le temps par avoir du mal à mobiliser les citoyens.
LA CONFÉRENCE RIVERAINE DE FEYZIN, UN EXEMPLE D’INSTANCE VOLONTAIRE RÉUSSIE
En parallèle d’instances réglementaires comme les CSS, des initiatives se sont développées de manière volontaire, telle la conférence riveraine de Feyzin. Cette instance de concertation a vu le jour en 2007, dans la ville de Feyzin. Elle est née de la volonté très forte du maire de la ville et du directeur de la raffinerie de créer une instance pour améliorer la cohabitation entre les riverains et la raffinerie.
« L’Icsi avait à l’époque soutenu les recherches sociologiques qui ont conduit à définir les principes de la démarche. Cette instance tripartite réunit l’industriel, la mairie et les riverains, qui sont majoritaires et ont participé à sa création et à définir ses règles », explique Caroline Kamaté. Les relations entre les riverains et la raffinerie se sont améliorées, d’autres industriels ont rejoint le dispositif. « Les parties prenantes se comprennent mieux. C’est très convivial, on discute, on s’explique. La conférence riveraine est même représentée au sein de la CSS, assurant ainsi une articulation entre les deux instances. La conférence riveraine fonctionne bien. La preuve : elle a été créée au départ pour trois ans… elle existe toujours ! », se réjouit Caroline Kamaté.
Souvent, les instances de participation finissent avec le temps par avoir du mal à mobiliser les citoyens. « C’est difficile de maintenir la mobilisation sur les risques industriels d’accident majeur, notamment parce que c’est un sujet anxiogène. La conférence riveraine de Feyzin, elle, ne désemplit pas. L’instance est ouverte aux problématiques de nuisances, qui intéressent beaucoup les citoyens. Ils se sentent concernés au quotidien. Ils ont le sentiment de pouvoir participer au processus de décision, de pouvoir apporter leur pierre à l’édifice pour l’intérêt collectif sur un sujet qui affecte leur vie au quotidien. Réussir à mobiliser les citoyens dans la durée pour une culture de sécurité partagée à l’échelle du territoire est un réel défi. Mais ce défi mérite d’être relevé car ce genre d’initiatives est une vraie source de progrès pour le vivre ensemble », conclut Caroline Kamaté.
Les principaux freins
- Fonctionnement technocratique, information descendante et trop technique
- Faible fréquence des réunions
- Déficit de confiance des parties prenantes
- Déséquilibre de représentation, avec par exemple une présence trop faible des riverains
- Démarches de concertation « alibi », à visée manipulatoire, parfois arrêtées du jour au lendemain
- Manque de culture de participation des agents de l’État
- Manque de temps et de moyens, notamment financiers pour conduire par exemple des études et analyses
Les principales clés de réussite
- Comprendre les attentes des citoyens grâce à une étude sociologique
- Élargir le sujet des risques technologiques aux nuisances, pollutions et autres préoccupations riveraines liées à l’industrie à risque
- Coconstruire l’instance de participation avec les citoyens
- Obtenir un équilibre de la représentation des parties prenantes
- Avoir une volonté de transparence
- Être conscient des intérêts divergents pour trouver ensemble des solutions
- Organiser des réunions hybrides et régulières trois à quatre fois par an
- Mettre en place des formations pour les parties prenantes pour créer une culture commune, développer la culture de la participation chez les décideurs et les agents de l’État ainsi qu’une culture de la sécurité industrielle chez les riverains
- Développer des actions variées, concrètes et expériencielles : visites d’usine, cartographies pour, visualiser les risques, initiatives de science citoyenne, etc.
- Mieux associer les collectivités aux politiques publiques nationales
DOSSIER - Risques industriels et territoires : quelle(s) instance(s) de participation citoyenne ?
PARTIE 1 : Une nouvelle instance citoyenne pour la Métropole Rouen Normandie
- #1. Une étude sociologique pour comprendre les besoins des populations
- #2. Résultats de l’étude : les grandes tendances
- #3. Il faut que toutes les parties prenantes apprennent à “parler vrai” », interview du sociologue Pierre Lénel
- #4. « Dessiner les contours d’une instance de dialogue efficace et pérenne à Rouen », interview de Charlotte Goujon, vice-présidente de la Métropole Rouen Normandie
PARTIE 2 : Regard international sur la participation citoyenne
- #5. Zoom sur quatre territoires en France et à l’étranger concernés par les risques industriels
- #6. Décryptage des difficultés et réussites d’instances citoyennes