Participation citoyenne sur les risques industriels en France : panorama des dispositifs, limites et défis

Aujourd’hui, plusieurs dispositifs formalisés existent pour favoriser la participation des citoyens aux processus de décision sur les risques industriels : enquêtes publiques, structures locales de concertation, SPPPI… ainsi que des espaces d’échange qui échappent au cadre réglementaire. Tour d’horizon de la participation citoyenne en France sur les risques industriels avec Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques, Ministère de l’Ecologie.

Cet article est issu de l’intervention de Cédric Bourillet lors de la table ronde « Comment favoriser la participation citoyenne ? », organisée par l'Icsi et la Métropole Rouen Normandie, au Forum de la résilience, octobre 2021.
Panorama des dispositifs de participation citoyenne sur les risques industriels :
La participation du public au débat autour des risques industriels mobilise de nombreux acteurs. Aujourd’hui en France, on compte 4 grandes familles de dispositifs de participation citoyenne :
1. L'enquête publique
L'enquête publique existe depuis des dizaines d’années et permet à chaque citoyen de s’informer et de formuler des observations auprès d’un tiers indépendant : le commissaire enquêteur. Elle intervient à des moments clés de la vie d'un site industriel : lors de l'autorisation environnementale ou de modifications substantielles. Pour les sites de tailles plus modérées – hors sites Seveso donc – elle peut être remplacée par une participation du public en ligne. Enfin, pour certains grands projets d’aménagement et d’infrastructures (aéroport, parc éolien…), un débat public sous l'égide de la commission nationale du débat public peut être organisé.
2. Les structures locales de concertation
Les structures locales de concertation, autrefois les CLIC (comités locaux d'information de concertation), désormais appelées CSS (commissions de suivi de site) sont un dispositif très formalisé, notamment autour des sites Seveso seuil haut. Elles ont une composition dite « grenellienne », limitée généralement à 30 personnes réparties en 5 collèges : l'industriel, les collectivités locales, les salariés, les associations et personnalités qualifiées et l'Etat. Mises en œuvre depuis 2003, elles ne sont ouvertes ni au public ni à la presse.
3. Les SPPPI
Les SPPPI, Secrétariat Permanent pour la Prévention des Pollutions Industrielles et pour les risques, sont actifs dans les grands bassins industriels. Ce dispositif, s’il est un peu moins formalisé que les précédents, comporte toujours un rôle important de l'Etat. On y retrouve les mêmes collèges que dans les CSS, mais avec une ouverture plus grande, la possibilité d'accueillir d'autres personnes, de mettre en place des groupes de travail, des outils de communication, d'interaction… Les SPPPI constituent donc un dispositif plus souple, à la qualité de vie variable selon les territoires.
4. Les dispositifs de participation et de dialogue initiés par des industriels, des collectivités ou des citoyens
Ils constituent le dernier grand bloc. Ces dispositifs sont plus libres, non prévus par les textes réglementaires, avec un véritable ancrage dans le territoire, à l’instar de la Conférence riveraine de Feyzin par exemple (lien article correspondant). Ces initiatives, leur efficacité et leur portée, sont très différentes d’un territoire à l’autre.
Les limites des dispositifs de participation citoyenne
Cédric Bourillet dresse pour nous l’état des lieux des limites aux dispositifs de participation citoyenne :
- L’évolution des modes de communication et du rapport à l’autorité publique. Les manières de s’informer et de communiquer ont radicalement changé avec, notamment, les réseaux sociaux. Et les outils de participation citoyenne pensés autour d’une autorité publique ou de procédures très formalisées sont moins efficaces qu’ils ont pu l’être à d’autres époques. On a par exemple du mal à mobiliser le grand public, notamment les jeunes, autour d’une enquête publique.
- La technicité du sujet des risques industriels. Quand on réalise une enquête publique autour d'un site Seveso, l'étude de dangers représente des centaines de pages très techniques, des probabilités, etc. Cela peut difficilement permettre aux citoyens de s'approprier les choses et de participer.
- L’effectif restreint des instances de participation et le manque de ruissellement des informations. Les Commissions de Suivi de Site (CSS) fonctionnent avec un groupe fixe et limité à une trentaine de personnes. Si cela peut leur permettre de nouer ou consolider un dialogue dans la durée, cela peut aussi constituer un frein à la transmission au grand public de ce qui se dit dans ce cercle restreint et à huis clos. Et il est également difficile pour les citoyens de remonter leurs suggestions, questions, attentes, peurs…
- L’information souvent trop descendante. Les commissions de suivi de site ont généralement lieu en préfecture, avec une information majoritairement descendante, voire une justification. On peut alors avoir des postures de défense plus que de dialogue.
Quatre défis à relever pour améliorer les dispositifs de participation citoyenne
Il y a de très bonnes choses dans les dispositifs de participation citoyenne mais, nous l’avons vu, tout n’est pas parfait. Et le sentiment général est qu’ils n’ont pas permis d’atteindre une culture du risque, ou culture de sécurité, généralisée dans notre pays. Voici quelques axes de progrès :
Réussir à toucher tous les gens, y compris ceux qui n'ont pas spontanément d’interrogations ou de préoccupations sur ces enjeux jusqu'à ce qu’arrive un problème. Il faut alors réussir à engager un dialogue avec ceux qui ont peu de temps ou qui vont très peu chercher les informations… Il y a vraiment un échange, une communication à établir au long cours, en temps de paix pour qu’il y ait une prise de conscience avant qu’un accident n’arrive…
Construire une culture du risque, ou culture de sécurité, qui soit partagée. Et la chose n’est pas simple en ce qui concerne les risques d’accidents industriels. Car ils sont moins tangibles que des nuisances telles que des odeurs, des bruits, et concernent une multiplicité d’acteurs… On observe par exemple que certains sites industriels, implantés depuis des dizaines d'années, font partie du décor pour les riverains, qui ne cherchent alors pas forcément d’informations ou de contacts avec le site.
Intégrer - vraiment - les citoyens dans les dispositifs de participation. Il y a un véritable enjeu à prendre en compte les préoccupations réelles du public, ou plus exactement des publics, dans toute leur diversité. Comment ? En faisant participer les citoyens à l’élaboration de l’ordre du jour, en évitant de ne proposer que des sujets très administratifs préplanifiés afin d’avoir une vraie capacité d’écoute, en considérant chaque question comme légitime et méritant une réponse.
Eviter l’information descendante, qu’elle vienne de l'industriel, du préfet, des services de secours, des inspecteurs des sites… Cela nécessite de surmonter - et ce n’est pas simple – ce qu’on appelle l’asymétrie de compétences, parfois de capacités d’expression chez les participants.

DOSSIER - Risques industriels et territoires : comment améliorer l'alerte aux populations et la participation citoyenne ?
PARTIE 1 : Des pistes pour repenser l'alerte des populations et la gestion de crise
- #1.Comment être résilient face aux risques : recommandations de la mission Fred Courant
- #2. Les défis d'FR-ALERT, le futur dispositif d'alerte en France
- #3. Gestion de crise : l'indispensable redistribution des rôles
- #4 Quels facteurs influencent l’engagement et les comportements sécurité des populations ?
PARTIE 2 : Comment améliorer la participation citoyenne ?
- #5. Participation citoyenne sur les risques industriels en France : panorama des dispositifs, limites et défis
- #6. Comment améliorer la participation citoyenne sur les risques industriels ? Initiatives de Feyzin à Rouen
- #7. Métropole Rouen Normandie : l’enjeu de retrouver des espaces de dialogue apaisé après Lubrizol
- #8. « Les comportements en temps de crise dépendent de la lente construction des liens en temps de paix »