Comment être résilient face aux risques : recommandations de la mission Fred Courant
Fred Courant, co-animateur de la mythique émission C’est pas sorcier, a également présidé la mission sur « la transparence, l’information et la participation de tous à la gestion des risques majeurs, technologiques ou naturels » confiée par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique. Zoom sur les propositions concrètes portées par la mission lors de la table ronde « Alerte des populations et gestion de crise », à l’occasion du Forum de la Résilience, à Rouen, en octobre dernier.
Comment avez-vous souhaité construire la réflexion autour de la mission de modernisation de la culture du risque ?
Fred Courant : Il a fallu constituer une équipe, avec des gens qui ont de la pratique, pour dépasser la théorie. L’objectif : faire peu de propositions, mais des propositions concrètes et réalisables, ne pas seulement prêcher des bonnes choses dans le désert. Donc on a écouté une cinquantaine de personnes, des spécialistes, on a pris le temps de parler pendant des entretiens et, partant de ce constat de terrain, on a essayé de construire des propositions. Notre travail a porté, au-delà de l’alerte, sur l’acculturation des populations, pour faire en sorte qu’il y ait une culture du risque. Je préfèrerais même dire « une culture de la résilience », avec une véritable conscience de son environnement, son cadre de vie, pour comprendre les choses et savoir ce qui se passe.
Pouvez-vous nous donner quelques préconisations d’ordre général sur la culture du risque, issues de votre rapport ?
Nous avons volontairement limité le nombre de propositions, car avec des rapports de 50 ou 60 propositions, rien n’aboutit. Nous en avons donc fait 12. Parmi elles, concernant les leviers pour agir et transformer la culture du risque, la faire essaimer dans les territoires :
- Agir au niveau de différentes populations : on parle souvent « du » grand public mais ce sont plutôt « des » grands publics, c'est-à-dire des citoyens, tout simplement, mais qui vont avoir des outils d'information différents en fonction de leur âge, de leur génération, certains regardent France 3, d’autres sont sur les réseaux sociaux… Il est important d’être conscient de cette réalité et de partir de ce constat pour penser les dispositifs.
- Acquérir une culture dès le plus jeune âge : acculturer les plus jeunes, cela se fait dans de nombreux domaines, avec efficacité, sur des questions d’environnement par exemple, avec des petits gestes tout simples de la vie quotidienne, ou dans le domaine de la sécurité routière… Il s’agit donc de réussir à transmettre une information, à faire de la « pédagogie aimable », en expliquant les choses, en prenant le temps, en ayant des outils…
- Proposer une journée ou un événement national d’apprentissage : l’idée ici est de mobiliser tout le monde, et de faire de la sécurité un enjeu national. C'est un peu « l’effet Téléthon ». Et il s’agit de fédérer non pas dans le drame, la peur, mais dans l’apprentissage, dans la connaissance de son territoire. La première journée est prévue le 13 octobre 2022.
- Développer un kit pédagogique : il serait important aussi de développer un kit pédagogique, accessible à tous. Il existe énormément d’initiatives, souvent réalisées par des associations sur des territoires exposés à plus de risques, et qui ne perdurent pas, faute de moyens. Ces pistes, ces modèles éprouvés pourraient alimenter un kit pédagogique réfléchi et réalisé au niveau national. Il serait très utile aux élus également, je pense notamment à toutes ces petites communes qui n’ont pas les ressources pour tout faire.
Il ne s'agit pas de culpabiliser les gens ou de les rendre responsables, ce n’est pas du tout le problème, l’objectif c'est de les accompagner, de les aider et les sensibiliser.
Fred Courant
Concernant l’alerte, quelles idées clés ou actions ressortent de la mission ?
Nous n’avons pas exploré la question des dispositifs techniques d’alerte, mais il nous semble que l’alerte ne peut pas être dissociée du reste de la chaîne de sensibilisation. C’est bien d'avoir une alerte, mais je me suis posé la question en commençant le travail, il y a 8 mois, en tant que simple citoyen : « si j’entends une sirène, est-ce que ça a du sens pour moi ? ». Entendre une sirène est une chose, mais que faut-il faire ? Que se passe-t-il si on reçoit une notification qui indique juste « attention » ?
Ce n’est pas seulement un dispositif technique, une sirène, qu'elle soit numérique ou mécanique, qui va régler le problème. Il existe aujourd’hui des outils pour travailler sur ce lien entre alerte et sensibilisation. Visov par exemple, association des volontaires numériques en situation d’urgence, intervient énormément au moment de l’alerte mais est également présente en continu sur les réseaux sociaux et communique sur la prévention. A l’inverse, la plupart des préfectures communiquent sur les réseaux sociaux quand la catastrophe arrive mais n’ont pas communiqué avant, n'ont pas occupé ces réseaux sociaux… or on ne peut pas être entendu sur un réseau social qui est muet la plupart du temps.
Il y a donc un travail à faire pour que les acteurs puissent agir sur les deux temps :
- communiquer régulièrement sur les gestes essentiels, en amont d’un accident ou d’une catastrophe,
- alerter en cas de crise.
Il faut marteler les messages. Les marteler, mais pas bêtement, en faisant de la pédagogie, en expliquant bien en amont, pour qu’au moment où arrive l’alerte, le plus de citoyens possible connaissent les bons réflexes et les bons comportements à avoir.
Une autre proposition est venue du retour d’expérience de Damien Boutillet, chef du département de Défense et gestion de crise de France Télévisions. Il nous a apporté un éclairage sur le dispositif « Alerte enlèvement », qui a des codes propres, la couleur rouge, une introduction sonore… Cela nous a encouragé à proposer une sorte de charte commune, visuelle et sonore, pour qu’en cas d'alerte, un réflexe opère. Aujourd’hui, il nous est apparu une sorte de brouhaha des méthodes d’alerte, avec telle sirène dans un endroit, et une autre 30 km plus loin… Or nous sommes tous de plus en plus mobiles. Il nous est apparu important d’harmoniser un peu les choses pour que, quel que soit l’endroit où on se trouve, on puisse avoir les mêmes points de repère.
Concernant les facteurs humains, finalement comment on réagit ou pas face à un événement ? Une idée clé ressort-elle ?
Voici des questions sociologiques passionnantes mais complexes ! Karine Weiss, professeur en psychologie sociale et environnementale à l’Université de Nîmes, nous a apporté son éclairage. Il y a effectivement des comportements qui peuvent être dangereux, mais c’est parce qu’on n'explique pas assez aux gens qu’il faut faire ou ne pas faire certaines choses. Prenons l’exemple des parents qui vont chercher systématiquement leurs enfants à l'école, alors que la consigne est de ne pas aller les chercher. Pourquoi ? C’est quelque chose qu’on aimerait bien comprendre pour pouvoir lutter contre. Il y a aussi des natures et des cultures différentes peut-être, qui expliquent les différences de réactions. Par exemple on peut se dire « j’ai un gros 4x4, je passe sans problème sur les routes » alors qu’il y a une pluie torrentielle… c’est bien souvent les gens qui se sentent le plus armés qui partent, à tort, avec leur véhicule dans les flots…
C'est un travail à faire en profondeur, dans le temps. En commençant par les jeunes, par les enfants, dès l’école. Et changer les comportements ce n’est pas critiquer ou culpabiliser les personnes. Il s’agit de leur faire comprendre qu'il y a quelque chose qui est essentiel et qui passe avant l’objet, le sac à main qu’ils veulent récupérer dans leur maison : c’est leur vie. Leur vie, la vie de leurs proches, la vie des sauveteurs.
> En juin 2021, la mission présidée par Fred Courant sur « la transparence, l’information et la participation de tous à la gestion des risques majeurs, technologiques ou naturels », rendait son rapport.
Télécharger le rapport de la mission
> Depuis, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, a publié son plan d’action « Tous résilients face aux risques ». Il identifie 6 leviers d’action qui visent à sensibiliser la population pour faire face aux catastrophes naturelles et aux accidents industriels.
Télécharger le plan d’action Tous résilients face aux risques