Gestion des risques et Covid-19

Gestion des risques & Covid 19 : réinventer le travail

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Gestion des risques & Covid 19 : réinventer le travail Gestion des risques & Covid 19 : réinventer le travail

Quelles transformations du travail, de l’organisation, du management sont-elles révélées par la crise de la Covid-19 ? Comment manager autrement ? Témoignage d’Emmanuelle Léon, professeur de management à ESCP Business School. Ce témoignage est issu du webinaire de l’Icsi du 4 mars 2021.

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Quelles sont les grandes transformations du travail révélées par la crise de la Covid-19 ?

Nous sommes face à un phénomène d’accélération des transformations, mais tout cela ne date pas d’hier. Au cours du temps, nous sommes passés d’un monde industriel à un monde post-industriel. Le lieu de référence n’est plus l’usine mais le centre de R&D. Le salarié de référence n’est plus l’ouvrier dont la sirène rythme le temps de travail, mais le cadre ou le manager.

Dans cette ère post-industrielle, nous ne sommes plus obligés d’être tous en même temps au même endroit pour travailler. De nouveaux espaces-temps se sont développés et ont modifié les situations de travail. On connait aujourd’hui le télétravail à temps partiel, les bureaux satellites, les espaces de coworking, le travail nomade ou encore les équipes virtuelles.

Avant la crise, on estimait à 7% le nombre de salariés en télétravail de manière régulière en France, ce qui était très en deçà d’un potentiel de télétravailleurs estimé à 25%. Ce pourcentage est amené à augmenter fortement dans les prochains mois, et c’est sans doute la plus grosse transition vécue aujourd’hui.

Quels sont les impacts d’une transition aussi rapide vers du travail à distance ?

Dans notre référentiel hérité du monde industriel, le travail c’est d’abord du temps passé dans un lieu. La discipline managériale est alors de surveiller ce temps : on aime connaître les horaires de travail des salariés, leurs plages de disponibilités, avoir des indicateurs de performance… Et nos contrats de travail ne nous aident pas : ils indiquent surtout où travailler et combien de temps.

Il va falloir s’affranchir de ce réflexe « présence = travail ». Et ce rapport au temps et à l’espace n’est pas que franco-français, il existe dans beaucoup de cultures. Une étude réalisée aux Etats-Unis en 2010-2012 démontrait que :

  • quand on voyait les gens au travail, on estimait qu’ils étaient plus fiables
  • quand on les voyait faire des heures supplémentaires, on estimait qu’ils étaient engagés.

Y a-t-il d’autres dimensions du travail à repenser ?

Tout d’abord, la temporalité. Est-ce qu’on a forcément besoin de travailler en synchrone ou peut-on travailler en asynchrone ? Quelle disponibilité des salariés ? On constate aujourd’hui que les télétravailleurs étendent leurs plages de disponibilités. Il y a un effet « je ne suis pas là physiquement donc je me rends sur-disponible pour témoigner de mon engagement ». A un moment, cela aura des impacts sur la santé.

Ensuite, il va peut-être falloir repenser la manière dont on aborde les activités et les tâches. Par exemple, est-ce qu’on a besoin d’organiser une réunion à chaque fois qu’on doit travailler ?
Et également repenser l’intégration des salariés, la culture d’entreprise, la transparence, la montée en compétence, le bien-être et la performance. C’est tout un ensemble.

Comment les managers se sont-ils adaptés à cette transformation du travail en mode accéléré ? Quel management demain ?

 

J’ai pu constater 3 types de postures managériales assez représentatives d’un basculement brutal vers du management à distance.

 

1re posture : manager avec des oeillères

C’est le manager qui va faire comme s’il était possible de ne rien changer. Il va calquer son agenda en présentiel : il enchainait les réunions au bureau, il va continuer à distance et les réunions deviennent en quelque sorte le lieu de travail. Or, les réunions distancielles sont plus fatigantes et peu propices aux échanges informels, impromptus, qui favorisent la créativité et la collaboration au sein d’une équipe. Et en virtuel, il est rare de croiser par hasard quelqu’un d’une autre équipe !

Autre point, il existe encore un mythe du multi-tâches. On estime qu’à chaque fois que j’interromps une tâche et que j’en démarre une autre, chacune de ces tâches va me prendre 20 à 30% de temps en plus. Cela ajoute à la fatigue. Et comme le télétravail augmente la porosité entre la vie familiale et la vie professionnelle, le multi-tâches peut devenir à la fois professionnel et personnel.

Enfin, la proximité apparaît à ce manager comme un paradis perdu. Or la proximité de demain interroge : l’intérêt du bureau apparaît relativement faible si les salariés doivent se tenir éloignés les uns des autres, et finalement ne pas retrouver ces moments d’échanges qui manquent aujourd’hui.

 

2e posture : manager dans l’angoisse

C’est le manager angoissé par l’éloignement de son équipe. Cela peut générer 3 risques :

  • La pathologie du reporting qui consiste à mettre en place des indicateurs supplémentaires pour palier la distance. C’est une tendance lourde dont il est compliqué de s’affranchir, mais il faut être conscient qu’on est peut-être arrivé aux limites du système.
  • La communication déshumanisée : à distance, on peut vite oublier tous ces petits moments humains que l’on aurait eus en présentiel, comme un remerciement dans le couloir. Ces petits moments, il faut désormais les prévoir sinon ça ne fonctionne pas. Et d’un autre côté, il est plus compliqué à distance de parler de ses difficultés dans le travail ou d’aspects plus personnels.
  • Loin des yeux, loin du coeur : le bien-être, la productivité et la performance des salariés en télétravail seront très variables en fonction de leurs perceptions de l’adhésion réelle (ou non) de l’entreprise au travail à distance.

 

3e posture : manager autrement

Il s’agit du manager qui a choisi de réinventer ses pratiques managériales. Il y a quelques principes clés :

  • S’affranchir du réflexe présence = travail
  • Ne pas confondre le management par objectifs et par résultats : il faut s’intéresser à la manière dont les résultats ont été obtenus
  • Planifier des échanges informels et gratuits, qu’il ne faudra pas abandonner quand viendra le temps du retour au bureau
  • Rendre l’implicite explicite et éviter l’improvisation
  • Définir des normes de comportements d’équipes : comment on fonctionne, avec quels outils, comment on s’écrit, quand est-ce qu’on se parle ?
  • Articuler vie privée et vie professionnelle
  • Avoir une réflexion conjointe sur l’espace physique et l’espace digital : il faudra ressortir le meilleur des deux mondes.

Enfin, la mise en oeuvre d’un fonctionnement hybride – qui fait l’objet de nombreuses réflexions au sein des entreprises aujourd’hui – ne se fera de manière vertueuse que si l’on associe l’organisation, le management et les équipes. Ainsi, les normes de comportement au sein de l’entreprise, puis au sein des équipes, nécessitent d’être clarifiées dans un contexte où la culture ne s’appréhende plus de la même façon. Et si l’hybride s’installe, il est sans doute temps de repenser la durée d’occupation des postes (car construire une relation de confiance à distance n’est pas si simple), ou tout simplement la taille des équipes, ou encore quelles équipes peuvent être sur site en même temps, et s’assurer d’une certaine équité au niveau même du bâtiment. Le travail à distance n’est souvent qu’un révélateur de lacunes préexistantes. Prendre le temps de les identifier évitera de transposer à distance tout ce qui dysfonctionnait en présentiel !

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