Risques industriels et territoire

Perception des risques et de l’alerte, comportements des populations : ce que la psychologie nous apprend

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Perception des risques et de l’alerte, comportements des populations : ce que la psychologie nous apprend Perception des risques et de l’alerte, comportements des populations : ce que la psychologie nous apprend

Début 2021, le groupe d’échange « Alerte aux populations et gestion des risques » accueillait M. Dongo Rémi Kouabenan, professeur de psychologie du travail et ergonomie à l’Université de Grenoble. Découvrez une synthèse des échanges autour de l’alerte des populations en cas de crise, le poids des perceptions et des croyances, les critères d’un bon message d’alerte et des pistes pour promouvoir des comportements de sécurité.

 

Notre perception des risques influe sur nos comportements, nos décisions en cas de crise. Deux éléments sont importants dans la perception des risques :

  • L’identification des risques : les personnes ont-elles conscience du risque ?
  • L’évaluation des risques : les individus évaluent les risques suivant diverses dimensions : la gravité potentielle d’un risque, la probabilité qu’il se réalise, leur capacité à contrôler la situation, etc.

Un individu peut être conscient du risque et de sa gravité mais, estimant à tort avoir les moyens de contrôler la situation, peut ne pas réagir au moment opportun ou faire un mauvais choix. C’est le cas par exemple d’une personne qui va chercher son véhicule lors d’une inondation, pensant en avoir le temps malgré la crue. 

 

| La perception des risques varie selon les risques et les personnes |

De nombreux paramètres influent négativement ou positivement sur la perception des risques (Cf. Kouabenan et al, 2006)*. A commencer par des paramètres liés aux risques :

  • La familiarité avec le risque : un individu habitué à un risque a tendance à le minimiser,
  • La contrôlabilité : l’impression que l’individu a de pouvoir contrôler/maîtriser ou non le risque,
  • L’utilité perçue du risque, à travers un rapport coût/bénéfice : le risque de l’anesthésie par exemple,
  • La dimension temporelle de l’effet ou des conséquences du risque, qui peut être immédiat (une chute de hauteur) ou différé (la consommation de tabac),
  • La médiatisation qui peut favoriser la conscience de certains risques et pas d’autres, l’exagération de certains risques et pas d’autres,
  • Le nombre de personnes simultanément affectées par le risque,
  • Etc.

Puis des paramètres liés aux personnes elles-mêmes :

  • L’âge, le sexe, l’expérience, l’histoire personnelle par rapport aux risques, la personnalité, la culture…
  • La perception de ses propres compétences à faire face aux risques,
  • Les normes sociales et la pression du groupe,
  • La cible du risque : la perception sera différente selon que le risque touche soi-même, sa famille ou pas.
  • Ces variabilités conduisent à des biais psychologiques, des illusions. Et ces biais vont influencer les comportements face aux risques. Ils vont jouer sur les motivations à respecter ou non les messages de prévention et de protection.

On ne peut plus faire de prévention sans les gens. Imposer des décisions sans associer en amont les destinataires n’a que peu de chances de succès.

Dongo Rémi Kouabenan, professeur de psychologie du travail et ergonomie

| Les croyances interviennent aussi dans les comportements face aux risques |

Lorsqu’il n’y a plus d’explication rationnelle qui tienne, ou en cas de perte de confiance dans la parole publique par exemple, les croyances prennent une place importante dans l’évaluation du risque et dans la gestion des situations.

Parmi les croyances, citons les croyances religieuses, normatives (pression d’un groupe d’appartenance par exemple), de rôle (liées au statut qu’on a dans une organisation déterminée), de contrôle et d’efficacité…

Ces croyances génèrent elles aussi des biais psychologiques tels que :

  • Le déni défensif du risque : l’individu nie la réalité du risque,
  • L’illusion du contrôle : la personne a le sentiment de pouvoir maîtriser le risque,
  • L’optimisme irréaliste ou l’optimisme comparatif : l’individu a l’impression d’être moins exposé aux risques et accidents qu’autrui,
  • L’illusion d’expérience : les personnes expérimentées n’ayant jamais eu d’accident peuvent avoir le sentiment d’être protégées par leur expérience.

 

| Quelle perception de l’alerte en cas de crise ? |

La plupart des facteurs qui affectent la perception des risques influent également sur la perception de l’alerte. C’est une variable clé !
Dans la perception de l’alerte en cas de crise, 3 dimensions principales ont été mises en avant par Lindell et Perry*, chercheurs en psychologie :

  • La perception des risques et des menaces pour soi, ses proches, son patrimoine,
  • La perception des mesures de protection, jugées efficaces ou non,
  • La perception des acteurs (pouvoirs publics, experts, médias, employeurs…) qui donnent l’alerte et préconisent les mesures à adopter : crédibilité, confiance, etc.

Parmi les facteurs d’influence, citons également :

  • Le canal de diffusion, qui facilite plus ou moins la réceptivité de l’alerte et l’attention accordée au message,
  • L’expérience personnelle du danger qui peut augmenter la sensibilité aux messages d’alerte ou à l’inverse conférer une illusion d’invulnérabilité
  • La connaissance des dangers et l’état de préparation
  • La perception de l’auto-efficacité de la préparation à faire face au risque, jugée par les chercheurs comme l’une des croyances les plus importantes dans le choix du comportement
  • Les caractéristiques des mesures proposées : le coût humain pour mettre en œuvre la consigne, l’utilité générale, le bilan coût-bénéfice de ce que l’individu était en train de faire versus le coût-bénéfice des actions de protection.

 

| Comment le risque est-il « personnalisé » avant d’agir ? |

En cas d’alerte, le risque va être interprété par chacun afin d’évaluer les conséquences pour soi-même : quel est le degré de vulnérabilité personnelle au risque annoncé ? C’est ce qu’on appelle « la personnalisation du risque ». Ce processus, dit de « milling » ou « moulinage » existe quel que soit le type de risque, le canal ou la source de diffusion. Il comporte 4 étapes :

  1. Comprendre : les individus cherchent à comprendre ce qui se passe, et cette compréhension passe par une interprétation personnelle qui varie bien sûr d’une personne à une autre,
  2. Croire : au regard de leurs croyances et de leurs expériences, les personnes vont croire ou non que l’alerte est réelle,
  3. Confirmer : les citoyens cherchent des informations sur la menace, sur les mesures proposées, sur leur pertinence (quelles routes sont choisies par exemple en cas d’évacuation)…
  4. Décider : les individus décident – ou non – d’agir, et comment, en fonction des réponses obtenues à chacune des 3 étapes précédentes.

Aussi, vous l’aurez compris, il existe quasi systématiquement un délai entre l’alerte et la réaction : c’est le délai de déclenchement de l’action de protection.

 

Science et confiance

« Il y a aujourd’hui une profonde remise en question de la parole des experts, y compris des experts considérés comme indépendants ou détachés de considérations politiques. Il y a eu trop de cas récents d’une mauvaise communication, comme ce fut le cas pour Tchernobyl, ayant amené des populations à se réfugier derrière leurs croyances pour se faire leur propre opinion. Il est donc très important de prendre en compte les perceptions des individus et ne pas rester dans sa science en considérant que parce qu’on a l’explication scientifique, ces individus vont y adhérer spontanément. Il faut intégrer la variable confiance également. » Dongo Rémi Kouabenan

 

| Quelles pistes pour améliorer l’alerte et l’engagement dans la prévention des risques ? |

Nous l’avons vu, de nombreux facteurs, des croyances, des biais, interviennent dans les perceptions des risques, de l’alerte et, in fine, du comportement adopté… Sans compter les émotions en cas de crise et l’environnement social de l’individu qui jouent un rôle très important également dans son choix : agir, éviter, nier…

Il est cependant possible de mettre en place des actions pour améliorer l’alerte et favoriser des comportements de sécurité.
A commencer par la prise en compte des spécificités des populations ciblées : les jeunes et les populations plus âgées n’ont par exemple pas le même usage des moyens de communication. Alors oui, il s’agit d’un travail de fourmi, un travail de fond sur le territoire, par enquêtes, entretiens, pour faire émerger les caractéristiques des populations qui recevront et devront comprendre le message d’alerte le jour d’un accident.

Ensuite, il est recommandé d’associer les populations à la définition des mesures de protection. Elles peuvent ainsi mieux comprendre les enjeux, mais aussi apporter des idées et des informations aux autorités. Des citoyens non associés à la réflexion peuvent avoir tendance à penser qu’il existe de meilleures solutions à identifier et activer ; en les associant, il devient possible d’expliquer les choix, de démontrer les limites des solutions qu’ils imaginent plus efficaces.

Enfin, voici quelques éléments pour un message d’alerte bien conçu :

  • Délivrer des informations sur le danger, sa nature et ses conséquences potentielles, qui précise la source du message
  • Être clair, par opposition à l’opacité qui génère de la méfiance,
  • Proposer un contenu pas trop long mais complet, avec toutes les informations nécessaires,
  • Ne pas se limiter à activer la peur ou la nécessité d’évacuer,
  • Donner aux destinataires des conseils et recommandations précises de mesures de protection,
  • Contribuer à la création d’une réelle confiance et/ou d’identification à la source du message (figures, leaders…)
  • Être adapté à la culture et aux croyances de la cible : style, forme, contenu, média, canal…
  • Arriver par un canal qui doit paraître officiel, crédible, le plus « familier » possible. Plus il aura une dimension interactive – avec la possibilité de poser des questions – plus il sera efficace.

 

| Peut-on communiquer sur l’incertitude ? |

Pour finir, en ces temps incertains, où une pandémie a bouleversé la marche du monde, posons-nous la question : peut-on communiquer sur l’incertitude ? M. Dongo Rémi Kouabenan apporte la réponse suivante : "Oui, on peut communiquer sur tout. Ce qui compte, c’est la façon de le faire, la qualité du message, y compris celui qui donne des informations sur les doutes, l’absence de réponse dans l’immédiat. Ce n’est pas parce qu’on est responsable d’un domaine qu’on a les réponses à toutes les questions : on peut tout à fait dire qu’il y a des incertitudes et faire jouer un principe de précaution, mais toujours en donnant des informations précises sur le comportement attendu"

 

*Kouabenan, D.R., Cadet B., Hermand, D., Muñoz Sastre, M.T. (eds) (2006) : Psychologie du risque : Identifier, évaluer, prévenir. Bruxelles : De Boeck, 346 pages.
**Lindell, M. K., & Perry, R.W. (2012). The Protective action decision model. Theoretical modifications and additional evidence. Risk Analysis, 32 (4), 616-631

Groupe d'échange "Processus d'alerte et gestion de crise"

Le groupe d'échange, copiloté avec AMARIS, a été lancé fin 2020. Pour toute question, contactez Marc Sénant, pilote du groupe d'échange : marc.senant@icsi-eu.org

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