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Pascal Mathieu, CFE-CGC : « La sécurité est une opportunité pour changer le dialogue social traditionnel »

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Pascal Mathieu, CFE-CGC :  « La sécurité est une opportunité pour changer le dialogue social traditionnel » Pascal Mathieu, CFE-CGC : « La sécurité est une opportunité pour changer le dialogue social traditionnel »

Rencontre avec Pascal Mathieu, représentant de la CFE-CGC et ancien président du Forum syndical sécurité des vols chez Air France. Quel rôle, quelle philosophie de cette instance originale de dialogue social et de prévention ? Quelles sont les clés d’un bon dialogue social ? Les difficultés majeures ? Découvrez le témoignage de ce membre du groupe d’échange « Dialogue social et culture de sécurité » de l’Icsi.

 

| Vous avez été président du Forum Syndical Sécurité des Vols (FSSV) chez Air France, pouvez-vous nous parler de cette initiative originale ? |

Le crash du vol Rio-Paris en 2009 a été un choc émotionnel pour toute la compagnie et a généré de nombreuses réflexions sur l’amélioration de la sécurité des vols. A l’époque, un groupe d’experts indépendants nous a fait 35 recommandations parmi lesquelles le fait que les syndicats devaient travailler plus en concertation avec la direction sur le sujet, mais aussi travailler entre eux pour élaborer une approche commune de la sécurité des vols.

L’idée a fait son chemin. En 2013, le forum syndical sécurité des vols (FSSV) s’est monté sous la forme d’une association qui fédère une dizaine des principales organisations syndicales. C’est donc une instance qui est en dehors du cadre traditionnel du dialogue social. Les différents syndicats ont mandaté une vingtaine d’experts représentant tous les métiers opérationnels de l’entreprise. Le FSSV travaille ainsi au niveau local de chaque métier et au niveau central avec des réunions périodiques.

Les experts envoyés par les syndicats ont tous signé une convention avec l’entreprise qui reconnait leur mission, ainsi qu’une charte de confidentialité. On a également eu un contrat de fonctionnement et de financement, des locaux et des moyens. Assez vite, le FSSV a été reconnu au niveau du système de management de la sécurité d’Air France comme une instance de prévention. Tout cela s’est institutionnalisé et pérennisé et les différents syndicats nous ont de plus en plus soutenus dans la démarche.

| Quel est le rôle du FSSV ? |

Si je devais hiérarchiser, son premier rôle est de faire remonter la réalité du terrain. C’est fondamental. A haut niveau, on peut retrouver des gens qui ne sont pas allés sur le terrain depuis longtemps, que ce soit du côté de la direction ou des syndicats. Notre devoir c’est aussi d’alerter quand on estime qu’il y a des risques et faire des propositions.

Un autre rôle très important est de faire travailler ensemble les différents métiers et c’est une de mes grandes fiertés. J’ai des exemples très concrets de services cloisonnés qui n’arrivaient pas à se parler pour résoudre certains problèmes, notamment de sécurité. On a cassé des frontières, des silos. On a aussi constaté que la sécurité des vols était concentrée sur les services opérationnels : les pilotes, hôtesses et stewards, maintenance, exploitation au sol, fret. Mais quid des achats, de l’informatique et des RH ? Il faut intégrer ces gens-là.

Autre intérêt quand un secteur est en avance, c’est d’essaimer les bonnes idées. A Air France, c’est le cas des pilotes. Ils ont des pratiques de sécurité avancées sur le traitement des erreurs, des risques, des prises de décision face à un évènement et développé une batterie d’outils comme le briefing-débriefing que l’on a tenté d’essaimer dans l’entreprise.

Enfin - et ce n’est pas si simple - c’est également de mobiliser et intéresser les responsables syndicaux à la sécurité. Le risque est que les syndicats nomment un expert, mais que finalement il n’y ait aucun lien entre le syndicat et l’expert. L’expert devient alors un électron libre.

Quelques exemples de sujets traités

  • Soutien opérationnel et participation à « Safety Attitude », programme de développement d’une nouvelle culture de sécurité. Communication auprès des salariés.
  • Mise en place de débriefing post-évènement traumatique en vol auprès de l’ensemble du personnel naviguant
  • Identification et accompagnement du personnel en difficulté professionnelle et pouvant générer des problèmes de sécurité
  • Prévention des risques de chutes lors de l’accès à bord
  • Changement des lampes et des bâtons de guidage
  • Formation des sous-traitants

 

| Au travers de votre expérience, quelles sont pour vous les clés d'un bon dialogue social ? |

Une philosophie de coopération avec l'entreprise. Ma vision c’est qu’il faut travailler ensemble, ne pas rester dans des schémas conflictuels ou sur des préjugés de part et d’autre. C’est comme dans un couple, il faut que l'un des partenaires fasse le premier pas pour changer le type de relation. C’est ce qui s’est fait avec le FSSV et progressivement on est arrivé à une relation de confiance. Cela implique de l’écoute, de la loyauté, du respect de la parole et de la confidentialité. L’importance de la lucidité exprimée en off aussi. C’est également le fait de ne pas instrumentaliser la sécurité des vols, ramener systématiquement à l’expertise.

Après, il faut que les syndicalistes aient les moyens de travailler. Ils doivent continuer à avoir une activité sur le terrain, mais il faut aussi leur dégager du temps pour faire de la prévention.

| Et les difficultés majeures ? |

Un point de vigilance pour moi, c’est le changement d’interlocuteurs coté direction. A Air France, c’est très fréquent. A chaque fois, il faut recréer des liens, dépasser les a priori, rebâtir une relation de confiance, monter en expertise… cela demande donc du temps.  

Après, il y a la pression économique. Quand tout va bien c’est quand même plus simple, mais dès qu’il y a des contraintes économiques - sans parler de la crise actuelle - la tendance des dirigeants c’est de se concentrer sur la survie économique de l’entreprise. Sauf que la boite n’existera plus si un  incident grave survenait. Donc nous on est là pour dire qu’il ne suffit pas de faire des incantations sur la sécurité, il faut que cela s’incarne dans les décisions du quotidien. On challenge l’entreprise là-dessus.

| Quelle place pour la sécurité parmi l'ensemble des préoccupations syndicales (économie, emploi, salaires…) ? |

Un syndicat, c’est le reflet d’une culture d’entreprise. La sécurité n’est pas un sujet à enjeu politique pour les syndicats comme pour les directions. Ils sont davantage concernés par le dialogue social classique : les salaires, l’emploi, et parfois les stratégies d’entreprise. En ce moment à Air France, ils sont focalisés – et je les comprends - sur le maintien de l’emploi ou sur les conditions de départ volontaire des salariés.

D’un côté, c’est dommage parce syndicats comme direction ne se saisissent pas assez du sujet de la sécurité. Mais d’un autre côté, la sécurité est une opportunité pour faire progresser le dialogue social traditionnel. C’est un sujet qui fédère : tout le monde va dire que la sécurité c’est important. C’est un domaine où il y a moins de crispations, moins de jeux de pouvoir entre syndicats et direction, mais également entre les différents syndicats. C’est du coup une opportunité pour construire ensemble une meilleure sécurité mais aussi une culture managériale plus efficace.

 

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