Risques industriels et territoire

Quels facteurs influencent l'engagement et les comportements en sécurité des populations ?

9 minutes
Quels facteurs influencent l'engagement et les comportements en sécurité des populations ? Quels facteurs influencent l'engagement et les comportements en sécurité des populations ?

 

Avec Isabelle Richard, docteur en psychologie de l’environnement et fondatrice du bureau de recherche Environnons, partons explorer les logiques comportementales face aux risques : éveil émotionnel, capacité à faire face, modèle de changement des comportements… 

 

La perception des risques et de l’alerte influence directement les réactions des individus en cas d’accident. Cela ne fait plus de secret pour vous après le témoignage de Dongo Rémi Kouabenan, psychologue du travail : Perception des risques et de l’alerte, comportements des populations : ce que nous apprend la psychologie.

Le jour d’un accident, d’une crise, les émotions sont démesurées. On a tous une façon différente de réagir face aux risques :

  • certains seront dans le déni : « j’ai un 4x4, rien ne m’arrivera, je peux sortir malgré l’inondation »,
  • d’autres dans la prostration, l’alarmisme : « oh là là, que faire ? » et du coup ils ne font rien,
  • d’autres encore relèveront de l’optimisme irréaliste, pensant que « ça n’arrive qu’aux autres »… mais en fait non,
  • la délégation aux autorités est également délétère, car en situation passive par rapport aux autorités, on ne va pas mettre en œuvre de comportement.

Tout cela engendre des comportements inadaptés. Il s’agit alors de travailler, en amont, pour éviter ces biais et favoriser les bons comportements, ceux qui conduiront les personnes à protéger leur vie avant leurs biens. Et pour cela, on va explorer ce qu’on appelle l’éveil émotionnel, qui va permettre une prise de conscience personnalisée du risque.

 

| 1re étape : éveil émotionnel et personnalisation du risque |

Ce n’est pas la conscience du risque qui fait défaut. Habiter à côté d’un fleuve ou d’un site Seveso, on le sait plus ou moins. Ce qui fait défaut, et qui peut permettre de sauver des vies, c’est d’identifier les conséquences du risque. Pour soi, pour ses proches.

Prenons un exemple concret. En 2011, le Cepri (Centre européen de prévention du risque inondation), en partenariat avec Environnons, propose une démarche de formation auprès de 650 personnes, agents de collectivités, résidant en zone inondable sur le bassin orléanais.

La première journée de cette formation est consacrée à l’éveil émotionnel. Attention, il ne s’agit pas de susciter la peur, qui favorise l’alarmisme, voire la prostration, et conduit donc à un « non-comportement » ou à un comportement inadapté. L’éveil émotionnel, à l’inverse, c’est reconnaître qu’il y a un problème pour arriver à la mobilisation du comportement.

On va alors chercher à apporter des connaissances les plus personnalisées possible et à proposer des mises en situation concrètes, immersives, telles que :

  • Situer son logement sur une carte des zones inondables.
  • Travailler sur l’échelle de crue, avec des photos, des mesures…
  • Utiliser une maison de poupée immergée dans un aquarium pour se rendre compte, concrètement, de la vitesse de la montée du niveau de l’eau mais aussi de son évacuation (se réfugier au premier étage n’est plus une option quand on se rend compte qu’il faut compter parfois des jours pour que l’eau baisse), de l’électricité coupée, des meubles qui flottent…

 

| 2e étape : les moyens de faire face |

La prise de conscience du danger opérée le premier jour, si elle est bénéfique, génère – et c’est normal - quelques tensions. En jour 2 il faut alors transformer l’essai et apporter la capacité à faire face, examiner les actions à mettre en œuvre, très concrètement.

Pour chaque niveau d’alerte – en phase normale verte, puis en alerte jaune et rouge – on s’interroge : que fait-on à ce moment-là ? Quels sont les outils à disposition ? Comment réagit-on ? De combien de temps dispose-t-on ?

Des questionnaires avant et après la formation ont permis de montrer que :

  • Avant la formation, les futurs stagiaires perçoivent bien le risque de manière globale mais pas personnelle et, malgré un bon contrôle perçu du risque, n’ont que de vagues idées des actions à mettre en place,
  • Après la formation, les stagiaires connaissent mieux leur situation personnelle, mettent en place des comportements de mise en protection (consultation du DICRIM par exemple), ont pris conscience du risque sans vécu émotionnel alarmiste (« ça nous a un peu chamboulé le premier jour, mais on sait y faire face »).

 

| Un modèle pour faire évoluer les comportements |

 

Tout comme il n’y a pas un risque homogène, il n’y a pas une population homogène où chaque citoyen en est au même niveau de compréhension du risque, perception, mise en place de comportements pour se protéger.

Il est important de s'intéresser à cette variabilité pour prendre en compte tous les habitants et mettre en œuvre les bonnes actions.

Voici un modèle, issu de la psychologie de la santé, du changement des comportements selon 5 phases, avec à chaque fois, l’action à mettre en place :

 

1. La pré-contemplentation

  • Définition : l’individu ne reconnaît pas ou ne perçoit pas le risque.
  • Action à mettre en place : informer et convaincre.
  • Comment : en sensibilisant les personnes (informations, réunions…)

2. La contemplation

  • Définition : l’individu connaît le risque, mais perçoit mal ses conséquences pour lui. Il y a un défaut de personnalisation du risque. Il peut y avoir une volonté d’agir, mais sans savoir quand, comment…
  • Action à mettre en place : lever les freins potentiels, comprendre ce qui empêche l’action
  • Comment : en questionnant, en donnant des exemples qui démontrent les bénéfices de la mise en œuvre du comportement attendu.

3. La planification

  • Définition : l’individu cherche à savoir comment organiser son action le jour d’un accident. C’est un moment crucial dit « d’implémentation de l’action » qui permet de s’engager dans l’action.
  • Action à mettre en place : organiser et dialoguer.
  • Comment : en s’assurant que l’individu reçoit des consignes claires, qu’il se les approprie et les intègre. En décidant d’un calendrier d'actions et des étapes nécessaires pour y parvenir.

4. L’action

  • Définition : cette phase intervient en cas d’accident, l’individu met alors en œuvre son plan d’actions.
  • Action à mettre en place : donner les moyens d’agir
  • Comment : en veillant à l’application des consignes concrètes, en s’assurant que les individus comprennent les risques qu’il y a à ne pas appliquer les consignes. En veillant à ce que l’alerte et les messages associés soient unanimes et clairs.

5. Le maintien

  • Définition : cette étape permet de pérenniser le comportement de protection après la crise.
  • Action à mettre en place : accompagner et évaluer
  • Comment : en portant attention à comment a été vécu l’incident ou l’accident, en s’assurant qu’il ne reste pas un trop grand traumatisme, en accompagnant les individus pour renforcer leur capacité à faire face.

 

Isabelle Richard lors de la table ronde Alerte des populations et gestion de crise - Forum de la résilience, le 5 octobre à Métropole Rouen Normandie Isabelle Richard lors de la table ronde Alerte des populations et gestion de crise - Forum de la résilience, le 5 octobre à Métropole Rouen Normandie

 

 

| Des facteurs favorisent ou entravent le changement |

 

Les éléments qui favorisent le changement :

  • La connaissance et l’information, sur le risque, les consignes… Reste la difficile question de comment diffuser l’information…
  • Le contrôle perçu : les individus qui se sentent en capacité d’agir et ont une idée claire des actions à mettre en place sont plus aptes à agir en cas de crise
  • Les motivations à se protéger et l’éveil émotionnel : une personne consciente du risque qui a touché du doigt ses conséquences potentielles pour elle et ses proches est plus apte à se protéger
  • L’expérience du risque : l’expérience est déterminante. Une « mise en situation » a beaucoup plus d’impact sur la perception du risque qu’une présentation descendante.
  • La co-construction des dispositifs de protection : c’est une, sinon la clé la plus importante. Il s’agit d’inclure des techniciens, des opérationnels, des chercheurs mais aussi et surtout des riverains, des associations, qui vivent avec ce risque. Non seulement l’ensemble des référents est autour de la table pour construire au mieux les dispositifs, mais ensuite chacun des participants diffuse les éléments au sein de sa catégorie d’acteurs. Cette démarche localisée confère crédibilité et légitimité.

 

Les résistances qui entravent le changement :

  • Une certaine méfiance voire défiance vis-à-vis des autorités : la crédibilité de la source est essentielle pour une bonne diffusion des messages de protection.
  • L’invisibilité du risque : s’il y a une visibilité évidente de certaines nuisances (pollution, bruit…), il n’en va pas de même de certains risques industriels (explosion, incendie…)
  • L’inadaptation de certains outils : les repères de crue par exemple sont plus perçus comme une référence historique qu’une référence au danger des crues, les DICRIM sont peu connus et les réunions publiques trop peu peuplées.
  • La communication négative ou les injonctions : à l’obligation de suivre une formation aux risques, il faut préférer le consentement et l’envie d’apprendre. Dans les messages, les formulations positives sont préférables aux négatives.
  • Le manque de cohérence ou de localisation dans les messages : plus que des risques industriels en général, il s’agit d’évoquer les risques qui concernent directement les personnes.

 

| Quelques pistes pour améliorer les outils de prévention des risques |

La psychologie environnementale dresse quelques propositions pour améliorer les outils de prévention des risques :

  • Mettre les individus en connaissance mais aussi en capacité : former les personnes non pas sur les procédures mais sur les compétences et outils à mobiliser. Informer les populations non pas sur les risques industriels mais sur leur risque industriel, en le contextualisant, en le ramenant à sa réalité locale.
  • Faire tester et expérimenter les risques, car l’être humain retient 10% de ce qu’il lit, 90% de ce qu’il fait ou expérimente.
  • Porter une attention particulière à qui diffuse le message, en questionnant le degré de confiance accordé localement aux diverses autorités et en définissant un « chemin » de la diffusion qui intègre ces résultats. Cela peut par exemple conduire à passer par les organisations syndicales dans les entreprises, l’élu local ou encore les associations locales pour les populations…
  • Favoriser au maximum l’éveil émotionnel des populations concernées par le risque.
  • Favoriser la participation des destinataires des dispositifs (d’alerte, de protection…) à leur co-élaboration.
  • Augmenter l’effort de transparence, quitte à revenir sur une décision prise dans une phase d’incertitude au regard d’éléments nouveaux qu’il faudra aussi partager. L’adhésion des populations passe par la confiance.
  • Faciliter la compréhension des messages, en tenant compte de la clarté du message, de la vulgarisation, de l’accessibilité technique, de l’accès aux malvoyants, des langues étrangères…

 

« Cet éclairage sur le comportement en situation de catastrophe et les pistes opérationnelles données pour améliorer les réactions et réflexes face au risque apportent des perspectives concrètes et pertinentes en matière de risques industriels. Replacer les populations au centre des dispositifs est une idée simple et a priori évidente, pourtant pas encore suffisamment intégrée dans les logiques de gestion de crise technologique. Nous retenons aussi l’idée que chaque action doit être localisée, c’est-à-dire adaptée aux spécificités des différentes échelles territoriales et des différents acteurs qui les composent. » conclut Marc Sénant, responsable savoir-faire & méthodes, Icsi.

Artículos sobre el mismo tema