Risques industriels et territoire

Un an après Lubrizol, Rouen Métropole interroge la culture du risque

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Forum Un an après le 26/09/2019, quelle sécurité industrielle, quelle culture du risque ? Forum Un an après le 26/09/2019, quelle sécurité industrielle, quelle culture du risque ?

Fin septembre dernier, la métropole de Rouen Normandie organisait un forum et conviait Ivan Boissières, directeur général Icsi, à apporter son éclairage sur « Un an après le 26/09/2019, quelle sécurité industrielle, quelle culture du risque ? ». L’occasion d’évoquer la nécessité d’une culture partagée, les conditions d’une concertation citoyenne, des pistes pour demain. Interview.

Ivan Boissières, quelles voix se sont fait entendre à ce forum masqué, Covid oblige ?

La Métropole de Rouen Normandie a voulu donner la parole à toutes les parties prenantes, un principe cher à l’Icsi, que nous ne pouvons qu’applaudir ! La table ronde réunissait Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement, le président de Rouen Respire - collectif de citoyens -, des représentants de l’industrie avec Lubrizol et France Chimie Normandie, une élue en charge de la sécurité sanitaire et industrielle, le président de France Nature Environnement et le président de la Métropole. Et l’Icsi, donc, 1 an après Lubrizol, 19 ans après AZF…

Ce forum faisait partie d’une semaine de débats sur le développement durable. Quel rapport entre sécurité industrielle et développement durable ?

Le territoire de la métropole compte 20 sites Seveso seuil haut et de nombreux autres sites industriels. Corinne Lepage a justement indiqué qu’un sujet essentiel est « la manière dont on peut faire coexister des industries dont nous avons économiquement besoin avec la sécurité des gens ». C’est tout à fait ça, à partir du moment où nous avons des industries sur nos territoires, nous savons qu’il y a des risques potentiels, d’accidents, d’impact sur l’environnement… Pour un développement durable, il nous faut maîtriser au mieux ces risques, préparer les salariés sur sites mais aussi les entités publiques et les populations pour parvenir à une bonne gestion en cas de crise. Cela passe par une culture de sécurité partagée.

Une culture de sécurité, ça se partage au niveau d’un territoire ?

Je ne dis pas que c’est facile… L’idée, c’est d’amener les différentes parties prenantes – donc élus, riverains, industriels, syndicats, associations, enseignants et chercheurs – à partager des connaissances, un vocabulaire commun. Un socle commun. Cela prend du temps, avec des échanges lents, réguliers, parfois difficiles, dans lesquels on ne nie pas les conflits.

La loi Bachelot, qui avait fait suite à l’accident d’AZF en 2001, avait défini des obligations d’information et de concertation citoyenne. Elle n’a pas permis ce partage d’une culture de sécurité ?

En effet, les comités locaux d’information et de concertation, mis en place en 2003, puis les commissions de suivi de site qui leur ont succédé pour les sites Seveso ont pour la plupart eu une activité soutenue lors de la mise en place des PPRT (plans de prévention des risques technologiques). Ces instances ont le mérite d’exister, mais en l’absence de grands accidents industriels pendant quinze ans, la vigilance et les interactions se sont depuis affaiblies. Ce n’est pas facile de mobiliser les gens sur le sujet des risques quand ça va bien.

Pourtant, « la culture de sécurité se construit en temps de paix » dites-vous.

Oui, les comportements des acteurs en temps de crise dépendent de la lente construction des liens « en temps de paix ». Savoir quoi faire, éviter des réactions de panique voire les comportements dangereux, ne se joue pas principalement le jour de l’accident, par une « communication de crise » qui serait adaptée et bien conduite. Philippe Essig évoquait dans son rapport sur le débat national sur les risques, en 2001, l’éducation sismique au Japon, où l’acculturation commence à l’école et se poursuit tout au long de la vie. Or en France, nous n’avons pas de formation sur la culture du risque dans les écoles d’ingénieur ou les universités.

Une culture de sécurité partagée, cela prend du temps à se construire, avec des échanges réguliers, parfois difficiles, dans lesquels on ne nie pas les conflits. Une culture de sécurité partagée, cela prend du temps à se construire, avec des échanges réguliers, parfois difficiles, dans lesquels on ne nie pas les conflits.

Des idées, des pistes encourageantes pour construire ce socle commun ?

Lors du forum, j’ai évoqué les travaux menés par l’Icsi et la Foncsi sur la concertation citoyenne et développé l’exemple de la conférence riveraine mise en place à Feyzin. Mais 1/ Il y en a d’autres. 2/ Il ne faut surtout pas croire qu’on peut calquer le modèle et avoir un succès garanti !

Des ingrédients de réussite alors ?

Oui, voici 3 facteurs de succès, issus des travaux menés par la Foncsi sur la concertation autour du risque industriel, pour construire une culture de sécurité partagée :

  • Un esprit symétrique : si vous réunissez autour de la table des « sachants » qui veulent apprendre à ceux qu’ils estiment ignorants, cela ne marchera pas. Tout le monde a une légitimité, un bout de connaissance, et c’est en confrontant les points de vue qu’on développera une connaissance plus fine. Chacun doit pouvoir inscrire des points à l’ordre du jour.
  • Un dispositif local : vous ne motiverez les gens à s’intéresser aux risques que si vous répondez à leurs besoins précis. Il faut étudier la sociologie de la population, savoir quelles sont leurs attentes, les questions qu’ils se posent.
  • Un dispositif dans la durée : ne vous leurrez pas, il n’y a rien de plus difficile à faire évoluer qu’une culture, qui même comportements, perceptions, croyances… Construire un socle commun requiert du temps, de la régularité.

Un message pour Rouen qui, selon les mots de Nicolas Mayer-Rossignol, maire et président de la Métropole Rouen Normandie, souhaite panser et penser les plaies?

Je leur dirais déjà bravo, car il me semble que Rouen a posé les bases d’un modèle pour une concertation citoyenne, avec une vraie volonté d’échanges. Le territoire pourrait devenir pilote national, notamment sur l’axe « processus d’alerte aux populations ». L’Icsi compte de nombreux membres sur le territoire rouennais, je suis sûr qu’ils seraient heureux de se mobiliser sur ce sujet d’actualité. Je leur conseillerais peut-être ensuite d’associer dans leur démarche, comme nous le faisons à l’Icsi dans nos groupes d’échanges, des représentants de syndicats, des chercheurs… qui pourraient apporter leur pierre à l’édifice. Je leur dirais enfin merci pour l’invitation, 1 an après Lubrizol et 19 ans après AZF. Si l’événement de Lubrizol permet d’accélérer l’axe concertation de la culture de sécurité, il aura au moins laissé une trace utile.

Pour voir le replay du forum dans son intégralité  sur la chaîne Youtube de la Métropole Rouen Normandie : forum "Un an après le 26/09/2019, quelle sécurité industrielle, quelle culture du risque ?"
Et découvrez, toujours dans le cadre de la semaine organisée par la Métropole Rouen Normandie, la conférence Culture du risque et comportement de la population lors de l'incendie de Lubrizol

 

 

 

 

 

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